3 % seulement. C’est la proportion brute de ménages français capables d’afficher un million de dollars d’économies, selon Crédit Suisse. Derrière ce chiffre, la France brille sur le podium européen des millionnaires, mais ce palmarès masque une concentration aiguë de la richesse, et une réalité bien plus nuancée qu’il n’y paraît.
L’impôt sur la fortune immobilière (IFI), successeur de l’ISF depuis 2018, touche à peine 1 % des foyers fiscaux. Pourtant, disposer d’un patrimoine financier d’un tel niveau bouleverse la donne : c’est le révélateur d’inégalités franches et de débats récurrents sur la distribution des fortunes et l’effet de la fiscalité sur les trajectoires d’enrichissement.
La richesse des ménages français : état des lieux et chiffres clés
Les chiffres de l’Insee l’attestent : le patrimoine brut des ménages français tutoie des sommets. En 2021, il approche les 14 000 milliards d’euros. Mais sous ce montant colossal, les écarts sont vertigineux. Si la richesse moyenne par ménage franchit les 400 000 euros, la médiane, bien plus parlante, plafonne à 177 200 euros. Un quart des ménages ne dépasse pas 30 000 euros. À l’autre extrémité, 10 % affichent plus de 610 000 euros.
L’essentiel du patrimoine des Français est logé dans la pierre. Plus de six ménages sur dix y concentrent la majeure partie de leur capital. Le reste ? Des livrets, de l’assurance-vie, des actions : tout l’arsenal du patrimoine financier. L’essor du patrimoine brut doit beaucoup à la flambée immobilière, mais aussi à une bourse dopée par l’épargne accumulée pendant la crise sanitaire.
Voici comment se répartissent les grandes composantes du patrimoine en France :
- Patrimoine immobilier : socle de la richesse, il concentre la valeur sur une minorité de ménages propriétaires.
- Patrimoine financier : soumis aux aléas des marchés, il accentue encore la fracture entre hauts patrimoines et le reste de la population.
Cette structure du patrimoine révèle une polarisation accentuée. D’après Crédit Suisse, plus de 2,8 millions de ménages dépassent le seuil du million de dollars. Le revenu disponible brut grimpe lui aussi, mais l’écart entre les extrêmes s’élargit. L’économie française fait ainsi face à un nouveau défi : la concentration du capital, qui façonne durablement la hiérarchie sociale.
Combien de personnes détiennent réellement un million de dollars d’économies en France ?
Le million fascine, mais il reste réservé à une élite. Les estimations de Crédit Suisse évoquent plus de 2,8 millions de ménages millionnaires en dollars, un chiffre qui englobe à la fois patrimoine financier et immobilier, après déduction des dettes. Il ne s’agit donc pas d’un simple compte en banque déjà prêt à dépenser.
La plupart de ces hauts patrimoines se concentrent dans la capitale et sa région. À Paris, la flambée de l’immobilier fait sauter les plafonds et propulse de nombreux propriétaires au-delà du million symbolique. Les secteurs porteurs, finance, nouvelles technologies, investissement immobilier, participent à cette dynamique, tout comme les salaires élevés qui y circulent.
Quelques chiffres pour situer la France au regard de ses voisins et des grandes métropoles :
- En nombre de ménages millionnaires en dollars, la France rivalise avec les pays européens les plus fortunés.
- Au-delà de Paris, d’autres foyers de richesse existent, Côte d’Azur, Lyon, Bordeaux, mais la concentration y demeure plus diffuse.
Ce seuil du million, érigé en symbole de réussite, met aussi en lumière la distribution très inégale des richesses. L’économie française peine à générer des hauts revenus hors des grandes villes ou des secteurs traditionnels du capital. Pendant que certains franchissent ce cap, la majorité reste à bonne distance, dans une France aux patrimoines fragmentés.
Fiscalité des millionnaires : quels enjeux et spécificités dans l’Hexagone ?
En France, la fiscalité façonne le destin des détenteurs de hauts patrimoines. L’impôt sur la fortune immobilière (IFI), mis en place en 2018, cible uniquement les propriétaires d’un patrimoine immobilier supérieur à 1,3 million d’euros. Adieu l’ISF, qui visait l’ensemble du capital : désormais, l’imposition s’attaque principalement à la pierre, laissant de côté la plupart des actifs financiers, sauf en cas de revenus du capital particulièrement élevés.
Les revenus du capital sont soumis à la flat tax de 30 % (prélèvement forfaitaire unique), qui regroupe impôt sur le revenu et prélèvements sociaux (CSG). Pour les foyers les plus aisés, la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus vient encore alourdir la facture. À ce dispositif s’ajoute une fiscalité indirecte, la TVA, qui pèse sur tous les ménages, millionnaires ou non.
Les transmissions de patrimoine se heurtent à des droits de succession parmi les plus élevés d’Europe, tout particulièrement pour les transmissions hors du cercle familial ou sur des patrimoines très concentrés. Les holdings patrimoniaux, souvent utilisés pour optimiser la gestion et la transmission, sont désormais dans le viseur de l’administration fiscale. Les discussions autour du projet de loi de finances (PLF) révèlent une tension permanente entre volonté d’attirer les capitaux et exigence de justice fiscale.
Quelques données pour illustrer l’empreinte de la fiscalité sur les millionnaires :
- L’IFI touche près de 150 000 foyers et a rapporté plus de 1,7 milliard d’euros en 2022.
- L’introduction de la flat tax a modifié les stratégies de placement, orientant parfois les capitaux vers des supports moins taxés.
La fiscalité des plus aisés cristallise ainsi le débat : faut-il protéger l’économie française ou renforcer la redistribution ? Le sujet reste explosif dans chaque projet budgétaire, alimentant les controverses et les clivages.
Évolutions et perspectives : comment le paysage des millionnaires pourrait-il changer dans les prochaines années ?
Le profil des millionnaires français évolue au gré des turbulences économiques mondiales. La croissance patine, limitant la progression des patrimoines. La banque centrale européenne ajuste ses taux, la dette publique française dépasse les 3 000 milliards d’euros selon la DG Trésor, et les marges de manœuvre budgétaires s’amenuisent. La valorisation des actifs financiers dépend de plus en plus de ces équilibres fragiles.
Autre phénomène : la transmission patrimoniale s’accélère avec le vieillissement de la population. Près de la moitié du patrimoine privé est aujourd’hui détenue par les seniors, selon le Conseil d’analyse économique. Les jeunes, eux, accèdent plus tard au monde du travail et à la propriété, creusant davantage le fossé générationnel en matière de capital. Ce décalage attise le débat sur la fiscalité de l’héritage et la redistribution des richesses.
Le contexte international pèse lourdement sur le nombre de ménages millionnaires. La France affiche un retard par rapport au Royaume-Uni ou à d’autres grandes économies, où la concentration des hauts patrimoines progresse à un rythme soutenu, portée par des marchés financiers plus dynamiques. L’Union européenne surveille ces évolutions, consciente des risques sociaux liés à la montée des inégalités.
Les projections du CAÉ et du ministère de l’Économie annoncent un ralentissement de la progression des hauts patrimoines, en lien avec la baisse de la rentabilité des actifs et une fiscalité qui pourrait bientôt changer de cap. Ces choix politiques détermineront la répartition future de la richesse, la circulation des capitaux, et la capacité de l’économie française à renouveler ses élites financières.
La France millionnaire n’a pas fini de faire parler d’elle. La carte des fortunes se redessine sous nos yeux, portée par des héritages, des marchés, des politiques, et la question demeure : qui franchira, demain, le seuil du million ?